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8 semaines que nous sommes confinés. Anne

By 15 mai 2020Confinement

8 semaines que nous sommes confinés, 8 semaines qu’il faut être sur tous les fronts en même temps. Ça devient difficile, long.

Les parents ou jeunes qu’on accompagne ont aussi beaucoup pris sur eux.
Certaines familles m’ont vraiment étonnée. Je n’aurais pas parié sur le fait qu’elles y arrivent… Notamment celles dont les enfants étaient accueillis en Belgique. Ils ont été très vite rapatriés en France, « chez eux ». Alors même que ce n’était plus possible d’y être avant cette pandémie…
On a redoublé de vigilance pour les accompagner. On appelle beaucoup, communique aussi plus par mail. Ça permet à certains de déverser leurs angoisses la nuit. Mais ce n’est pas suffisant.
Comment gérer les angoisses des parents et de leurs enfants en même temps ?

Au bout de 8 semaines, je vois des personnes qui ont montré de sacrées ressources. Dans leur capacité de « faire avec ». On est tous dans la même panade. Là ce qui leur est imposé ne vient pas d’une décision de justice, ou d’une évaluation de travailleur social. On est tous aussi démunis et ils le sentent, le voient, l’entendent.
Quand on arrive à maintenir un minimum de lien, à prendre soin, on se rend compte qu’ils savent faire plein de choses.
Par exemple une maman est allée sur Internet chercher des idées d’activités à faire avec ses enfants, et même des supports pédagogiques alors qu’ils sont en difficultés scolaires. Elle s’est vraiment investie. Elle a trouvé des supports comme la chenille alphabet, ou bien des séances de peinture aux doigts. Ils ont fabriqué des masques ensemble alors qu’elle n’avait pas fait de couture depuis des années…

Et il y a aussi des gens qui s’essoufflent. Ils ont envie de bouger, ont du mal à respecter le confinement de manière stricte.
Ou ceux qui se sont beaucoup repliés pendant le confinement et qui ressentent beaucoup de peurs, d’angoisses à l’idée de ressortir.
Ceux que ça fait bouger. Par exemple cette femme qui me raconte avoir dit au juge : « vous savez Mr le juge, quand on a autant de travailleurs sociaux sur le dos, comment voulez-vous qu’on s’en sorte ?! ». Elle avait perdu confiance. Mais là, le nombre d’interlocuteurs ayant diminué, elle semble investir autrement les liens qui perdurent. Notamment avec moi. Elle se pose, chemine, revisite son parcours et m’en parle. Elle revient sur des évènements passés pour les nuancer, changer de regard…
Je mesure à quel point le lien humain permet cette parole.
Même s’il ne me reste que le téléphone pour être en lien avec eux…

Avec mes collègues aussi je reste en lien. Nous nous contactons facilement via notre groupe Whatsapp. On était déjà une équipe qui fonctionnait bien, mais là c’est vrai que nos échanges renforcent nos liens. On part sur le professionnel mais dévie aussi sur le perso, avec légèreté même parfois. On a un vrai sentiment d’appartenance à une équipe !
Après 8 semaines, ça commence un peu à s’espacer. On a pris de nouvelles habitudes, on s’est presque adapté au confinement…

Le déconfinement ?
Je commence doucement à mettre un pied dehors. Je remets en place des visites pour certaines personnes que j’accompagne. Et je sens qu’il est temps de retrouver ce chemin. Mais là aussi c’est difficile à gérer. Sans parler de mes propres contraintes familiales (sans école pour mes enfants), je dois gérer l’aspect pratique encore flou des visites : comment faire respecter la distanciation sociale entre enfants et parents pour des visites médiatisées ?! Comment être présente, en lien, dans ce contexte de protocole sanitaire utile mais lourd à gérer ? Comment assurer la désinfection des lieux, matériels utilisés… ? Comment rassurer les familles sans savoir nous-mêmes où on va ?
Et puis beaucoup de familles que j’accompagne étaient déjà à « flux tendu » avant. Là, il va y avoir beaucoup de choses à rattraper…

A cette augmentation des sollicitations professionnelles est venu s’ajouter le retour au travail de mon conjoint. Et l’école de mes enfants qui n’a pas réouvert. On essaie au quotidien de composer avec tout ça mais c’est très compliqué à gérer ! Je dois me débrouiller. De belles solidarités se sont mises en place pour les plus démunis. Et heureusement. Mais nous travailleurs sociaux, comment on fait pour être présents avec toutes ces contraintes ? Où est la solidarité ? C’est ma colère du moment… !

Comment je tiens ?
Simplement je ne m’arrête pas ! Je fais !
Au tout début du confinement, le changement de cadre de travail s’est accompagné d’une baisse du stress. Même si d’autres peurs liées à la situation inédite sont arrivées.
Puis toute ma famille a attrapé le corona : pas d’hospitalisation nécessaire mais arrêt forcé pour tous !
Les gens eux-mêmes ont fait preuve de vraies ressources. Ça m’a encouragé aussi.
Et je mesure à quel point, sortir des objectifs habituels, définis par le juge pour par les travailleurs sociaux eux-mêmes, est important : juste demander « comment allez-vous ? »… Et la parole se libère, le lien change, la confiance se renforce… quelque chose se « désacralise ». Comme quand j’ai dû gérer un conflit entre mes propres enfants alors que j’étais en entretien téléphonique avec une personne que j’accompagne. Elle s’est rendue compte que j’étais moi aussi en difficulté ! Comme notre cher Pr Zoulouck !

Anne

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