La chanson de David

Luc Scheibling : « Je venais d’avoir 38 ans et j’étais dans un moment très particulier de ma vie. Je savais que je ne voulais pas rester dans l’Education Nationale ni vraiment continuer une carrière d’artiste. Pour le reste, je tournais en rond, je ne trouvais pas ma place dans cette société. J’avais commencé un travail thérapeutique mais je demeurais tourmenté, agressif, fermé, souvent pénible pour mon entourage. En un mot, j’allais mal.
Et puis un jour, j’ai rencontré David, un jeune qui ne parlait pas beaucoup. Je lui donnais des cours de guitare mais très vite, je me suis rendu compte qu’il ne travaillait pas. Je lui ai donc proposé de stopper là. Il n’a rien dit, mais j’ai senti qu’il ne voulait pas arrêter, qu’il attendait quelque chose… Alors, je lui ai proposé comme ça, un peu par hasard de faire une chanson. Je me rappelle avoir juste précisé : « une chanson sur toi, pas sur les autres, hein ? ». Tout de suite, son regard s’est allumé. On a commencé à parler ensemble et lui qui était si silencieux n’arrêtait plus. Il m’a avoué qu’il avait des problèmes de comportement avec les profs, qu’il ne faisait plus rien en classe et qu’avec ses parents, ça n’allait pas du tout. Ça m’a rappelé quelque chose… Juste après, il a basculé sur son enfance en Amérique Latine, des souvenirs remontaient : il se revoyait tout petit marchant pieds nus dans la rue, seul, pauvre, orphelin. Puis il a revu les dortoirs gris de l’orphelinat dans lequel un matin, il a retrouvé ses petites sœurs. Et surtout, il m’a parlé de son immense surprise quand ses parents adoptifs sont venus les chercher depuis la France. Il m’a parlé de tout ce qu’il avait sur le cœur et qu’il n’arrivait pas à leur dire…

À la suite de cet entretien, j’étais ému et lui aussi. Je lui ai donné rendez-vous la semaine suivante et me suis mis au travail. J’ai rassemblé mes notes, structuré son récit, dégagé un refrain puis j’ai créé rapidement une musique qui rappelait les Andes. Son histoire m’avait inspiré.
Lorsque David est arrivé la semaine suivante, je lui ai fait écouter la chanson pour voir si ça lui convenait ; ses yeux noirs brillaient. J’ai vu que non seulement il se reconnaissait dans cette chanson, mais qu’en plus, il semblait touché par le regard que j’avais porté sur son histoire. Je lui ai donné la cassette avec deux versions, une chantée avec ma voix et l’autre, juste musicale, pour qu’il puisse s’entraîner. Le mercredi suivant, je l’ai enregistré en une prise. Il la connaissait par cœur. C’était devenu sa chanson, la chanson de David.
Le soir même, il la faisait écouter à ses parents adoptifs qui en furent bouleversés. Quelques jours après, je recevais une lettre magnifique dans laquelle ils me remerciaient d’avoir donné la parole à leur enfant. Le contact s’était renoué entre l’ado et ses parents, il allait mieux. À mon tour, j’étais ému, je ne m’attendais pas du tout à cela. J’avais enfin l’impression de servir à quelque chose. Pour David, pour ses parents, pour moi, cette chanson fut un déclic. Je ne pouvais pas en rester là… »
Suite à cette rencontre fondatrice, Luc Scheibling se rend compte qu’il a mis au point de façon empirique un procédé de rencontre qui, en très peu de temps, instaure un lien de confiance et libère la parole.

Quelques dates clés

Rencontre fondatrice de Luc Scheibling avec un jeune qui livre pour la première fois son histoire d’adoption et son mal-être à quelqu’un. Ensemble ils créent une chanson en apportant un regard nouveau sur cette tranche de vie. Luc met là au point un « procédé de rencontre » original en 3 temps.

Création de l’association Laisse Ton Empreinte.
Objectif : valoriser en un nombre restreint de séances, l’histoire de personnes qui n’ont pas la possibilité de se dire, de se raconter dans un cadre valorisant. Transférer ces savoir-faire pour que d’autres s’en emparent.

Catherine Carpentier et Céline Martineau se joignent à l’aventure. Ensemble, ils réfléchissent aux conditions de transfert du procédé de rencontre, expérimentent d’autres supports.
En 3 ans, Luc réalise plus de 120 chansons en partenariat avec des centres sociaux, clubs de prévention, collèges, maisons de retraite…

Première formation à notre démarche originale auprès de professionnels d’un centre de formation pour adultes, qui deviennent des « cueilleurs d’histoires ». Très vite d’autres professionnels s’approprient la démarche à leur manière et changent souvent de regard sur le public qu’ils accompagnent.

Naissance du clown de Luc, le Professeur Zoulouck (illustré par Agnès de Vinck) ! Ce double lui permet d’adopter un ton décalé et drôle pour traiter de sujets sensibles au cours d’enquêtes de terrain. Il devient vite le narrateur de tous les outils pédagogiques issus des enquêtes.
Trophées de la Fondation de France S’unir pour agir : départemental, régional et national ! Une belle récompense pour notre action dans des écoles sensibles, autour de la régulation du conflit et de la cohérence éducative.

Premiers diagnostics de terrain : grâce aux carnets, on nous reconnait une expertise dans le domaine de la rencontre. Les commandes se font plus importantes. On nous demande désormais de faire des enquêtes de terrain et produire des documents pédagogiques sur des thèmes sensibles (éducation, parentalité, santé…).
1er tome de la collection Les carnets du professeur Zoulouck édité : la Parentalité.

Création de la version définitive du carnet Laisse Ton Empreinte, qui reprend le procédé artisanal et produit les mêmes effets que la chanson.

Plus d’un millier de rencontres de personnes en souffrance, un millier de récits de vie valorisés, de trajectoires de vies modifiées, d’intelligences individuelles et collectives révélées.

L’école « Les artisans de la rencontre » est évoquée, désirée, encouragée…