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L’accompagnement social en confinement. Une professionnelle

By 14 mai 2020Confinement

Depuis le confinement, j’appelle les personnes que j’accompagne pour voir comment elles vont : je les rassure, j’essaie de voir comment ça se passe, quel choc elles vivent ; sachant que nous aussi travailleurs sociaux nous sommes dans une nébuleuse.
Je ne gère plus que les aides financières à mettre en place, pour que les gens qui avaient déjà du mal à boucler les fins de mois puissent juste manger aujourd’hui.
Ça me renverse d’entendre qu’il n’y a que des paquets de pâtes dans leurs placards vides.
Je suis sur un quartier où le taux de pauvreté est très important. Ces aides financières pour ceux qui ne bouclent pas les fins de mois est un problème chronique.
Mais là j’en suis rendue à prioriser la pauvreté. C’est juste inhumain.
Professionnellement tu peux comprendre, mais humainement, c’est compliqué, tu ne peux pas.

D’autant qu’on a construit nos pratiques professionnelles sur le contact physique, et là on ne l’a plus.
J’ai du mal par téléphone, je ne peux pas creuser, comment accueillir les choses, jusqu’où aller alors qu’on n’a plus le non-verbal qui aide à sentir les choses…
On se sent en autoformation accélérée sur comment sentir par téléphone le non verbal, ce que vit vraiment la personne.
Ma plus grande crainte est de ne pas avoir senti une détresse psychologique, ne pas être assez présente.

Comment voir quand on ne se voit pas.
Je suis à l’aveugle.
J’ai perdu un sens.

Et on a aussi notre part d’inquiétude, d’incompréhension, de manque de vision à court et moyen termes. Je ne suis pas à l’aise sur mes deux jambes. Comment gérer mon côté mal à l’aise, chamboulée ?
Comment réinventer la rencontre physique avec des masques, dehors… quand on sortira de nouveau ?

Heureusement qu’entre collègues, nous avions mis en place des temps d’échanges visio pour discuter des situations difficiles qu’on accompagne. J’ai mes chats câlinous mais ce n’est pas suffisant pour partager mon vécu professionnel difficile !
Notre responsable est revenue vers nous pour voir comment on vivait le télétravail, est-ce qu’on était prêtes à revenir le 11 mai ?
Moi je préfère revenir, sinon je me sens envahie dans mon espace de vie, dans mon salon, ça fait résonance. Le temps perso et professionnel qui se mélangent, mon cerveau ne fait plus la différence. Je deviens plus perméable à ce que vivent les gens.

Spontanément, notre responsable nous avait proposé 1 heure quotidienne de téléconférence pour qu’on puisse échanger entre nous. Elle n’y assistait pas, ce qui nous permettait vraiment d’avoir une parole libre.
Entre nous, on a pu poser les choses, surtout nos peurs. Par exemple, on osait se dire qu’on n’allait pas sur telle ou telle problématique parce qu’on n’y arrivait pas, ou plus (parce qu’on n’a plus accès aux mêmes ressources).

Parmi ceux qu’on accompagne, il y a ceux qui nous disent « tout va bien, y’a pire que moi ». Mais ça nous pose question. On est assez sceptiques. Personnellement j’ai des phases de creux alors pourquoi pas eux ?
Est-ce qu’on rebondit ou pas ? On leur dit que si besoin, ils nous envoient un mail et on les appelle.
Et puis il y a ceux avec qui on avait déjà un bon contact avant, ou qu’on ne connait pas du tout. Là ils vont se lâcher plus. Par exemple sur leurs difficultés à occuper les enfants, est-ce qu’il faut les remettre à l’école, est-ce que c’est dangereux… Et il y a ceux qui pleurent car ils ont peur, ils n’arrivent pas à vivre le confinement, ça explose…

Comment je réceptionne tout ça ? Je leur dis que je peux entendre tout ce qu’ils vivent, que c’est normal dans ce contexte d’avoir peur.
Mais je ne peux pas les rassurer sur le futur car je ne sais pas ce qui va arriver.
Le cas échéant, je renvoie sur des plateformes psy et les rappelle la semaine d’après pour prendre des nouvelles, rester en lien surtout.

Comment voir quand on ne se voit pas.
Je suis à l’aveugle.
J’ai perdu un sens.

Je n’arrive pas à me poser pour réfléchir à comment faire.
Je ne suis que dans l’urgence, alors je me concentre sur ce que je maîtrise, l’ouverture aux droits. Mais c’est l’ombre qui cache la forêt. Comment accueillir le reste dans cette tourmente qu’on vit tous ? Le témoignage d’une personne qu’on suit pourrait être très intéressant, mais comment le recevoir…

Le petit film du Pr Zoulouck, les experts family, tombe à point : Zoulouck est totalement imparfait ! Il a plein de défauts. Qu’est-ce que je me retrouve en lui ! Il vient me rappeler que parfois, tu te poses en savant mais tu n’en sais rien du tout, simplement ça te rassure de le croire ! Et là, en ce moment, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait plus !

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